Une étude publiée dans « Nature » présente un groupe de molécules, les mannosides, dérivés du D-mannose, comme alternative aux antibiotiques pour traiter les infections urinaires récurrentes, en ciblant spécifiquement les bactéries responsables.

Les infections urinaires (IU) sont pour la plupart causées par Escherichia coli, une bactérie qui vit dans l’intestin, passe dans les selles, et peut alors transiter jusqu’au tractus urinaire et à la vessie. Les auteurs, américains et belges, d'une étude publiée dans « Nature » sont partis de l’idée qu’en faisant drastiquement diminuer le nombre d'E. coli présentes dans l’intestin, le risque de développer une IU diminuerait. Ils ont créé une sorte de leurre moléculaire sur lequel s’accrochent, dans l’intestin, les bactéries responsables de l’infection urinaire (IU) et qui permet leur élimination.

À la surface d’E. coli se trouve un pilus, un appendice qui permet à la bactérie de s’accrocher aux tissus comme avec une bande velcro, et sans lequel la bactérie ne peut se développer dans l’intestin. Par le passé, d’autres études avaient constaté que le pilus d’E. coli (il en existe plusieurs types) s’accrochait spécifiquement à un sucre, le Dmannose, que l’on trouve sur la paroi de la vessie. En se liant avec le D-mannose sur la paroi vésicale, la bactérie demeure dans la vessie au lieu d’être éliminée avec l’urine, ce qui permet la récurrence des IU. Ce même pilus permet à la bactérie de s’attacher à la paroi intestinale. Les auteurs de l’étude ont modifié chimiquement le D-mannose, créant un groupe de molécules, les mannosides, sur lesquelles les pili s’attachent plus fortement que sur la molécule originelle. Parmi les mannosides, la M4284 s'attache à la paroi vésicale avec une affinité environ 100 000 fois plus importante que le D-mannose. Or, contrairement aux récepteurs du D-mannose, les récepteurs des mannosides ne sont pas liés à la paroi vésicale, et les bactéries qui se lient aux mannosides sont donc éliminées. Présentes en moins grande quantité dans l’intestin, elles devraient occasionner bien moins d’IU. Pour tester cette hypothèse, les auteurs ont créé un modèle de souris souffrant d’IU récurrentes. Ils ont donné à ces souris 3 doses orales de M4284, et, à la fin du traitement, ont mesuré le nombre de bactéries E. coli présentes dans la vessie et l'intestin des animaux. Ils ont observé que les bactéries avaient presque entièrement été éliminées de la vessie, et que leur nombre avait été divisé par 100 dans l’intestin. Des analyses pharmacocinétiques révèlent que les concentrations de M4284 restent élevées dans les selles des souris jusqu’à 8 heures après la prise de la dose orale. Les auteurs avaient aussi testé le D-mannose et observé qu’à l’inverse, il ne modifiait pas les taux de bactéries chez la souris. « Nous n’avons pas complètement éliminé la bactérie de l’intestin mais les résultats sont prometteurs », estime Caitlin Spaulding, du département de microbiologie moléculaire de l’université Washington de St Louis (Missouri), et première auteure de l’étude. « Et réduire leur nombre signifie qu’il y en a moins de disponibles pour pénétrer le tractus urinaire et causer une IU », observe-t-elle.

L’un des inconvénients des antibiotiques est qu’il élimine de nombreuses autres bactéries intestinales que celles qu’il cible, ce qui laisse la place à d’autres espèces microbiennes potentiellement néfastes, lesquelles peuvent entraîner des effets secondaires, principalement des désordres intestinaux. Les auteurs se sont demandé si leur méthode ne risquait pas d’entraîner le même type d’effet secondaire. Ils ont donc mesuré les espèces bactériennes présentes dans le microbiote intestinal des souris après traitement au M4284. Ils ont observé que la molécule n’avait eu que peu d’effet sur les bactéries autres que celles causant l’IU, par opposition à un traitement par ciprofloxacine (un fluoroquinolone). « Nous avons développé une thérapeutique agissant comme un scalpel moléculaire : elle agit spécifiquement sur les bactéries dont on veut se débarrasser et laisse les autres intactes », s’enthousiasme Caitlin Spaulding.

Les auteurs insistent sur l’intérêt de la solution qu’ils ont développé dans un contexte d’augmentation de la résistance bactérienne aux antibiotiques, mais aussi après la parution de plusieurs études montrant les risques pour le microbiote intestinal à utiliser trop souvent des antibiotiques. « Développer des agents thérapeutiques tels que les mannosides qui ciblent spécifiquement un pathogène sans perturber le reste du microbiote a d’importantes implications, pas seulement pour l’IU mais aussi pour d’autres infections

 

Ref : Nature 2017,doi:10.1038 nature23084