Le virus Epstein-Barr modifie le comportement des lymphocytes B infectés, favorisant leur migration vers divers organes, phénomène probablement impliqué dans certaines maladies auto-immunes et lymphoprolifératives. Son blocage pourrait ouvrir de nouvelles pistes thérapeutiques.
L’infection par le virus d’Epstein-Barr (EBV), très répandue dans la population et connue pour être à l'origine de la mononucléose infectieuse, est impliquée dans certaines maladies comme les lymphomes (de Burkitt, de Hodgkin, post-transplantation) et plusieurs maladies auto-immunes, notamment la sclérose en plaques (SEP). Bien que l’infection primaire survienne au niveau de l’oropharynx, les cellules B infectées ont la capacité de coloniser des sites anatomiquement distants, tels que les ganglions, le tube digestif ou le système nerveux central, suggérant des mécanismes actifs de dissémination cellulaire.
Une étude expérimentale, menée conjointement en Allemagne (DKFZ, Heidelberg) et en France (Université Lyon 1), utilise des approches complémentaires in vitro et in vivo (souris immunodéficientes) pour comprendre comment les cellules B infectées par EBV se déplacent dans l’organisme pour atteindre ces organes.
Les chercheurs ont découvert que les lymphocytes B infectés par EBV acquièrent des propriétés inhabituelles : ils développent une polarisation cellulaire, ils deviennent capables de se déplacer activement dans les tissus et de franchir les barrières endothéliales (ce qu'on appelle la diapédèse), un comportement normalement réservé à certaines cellules immunitaires en situation d'inflammation.
Ce phénomène repose sur une boucle d’auto-activation : les cellules infectées produisent simultanément une molécule d’appel (CCL4) et son récepteur (CCR1), ce qui leur permet de s’activer elles-mêmes et de migrer sans stimulus extérieur. Ce mécanisme est déclenché par deux protéines virales (LMP1 et EBNA2) et active une enzyme appelée FAK2 (Focal Adhesion Kinase), essentielle pour la motilité des cellules.
Fait notable, la déficience génétique en CCR1 ou son inhibition pharmacologique bloque non seulement la migration des cellules B infectées, mais également leur prolifération. Ce résultat suggère que CCR1 joue un rôle central non seulement dans leur tropisme tissulaire, mais également dans leur expansion clonale.
Outre leur propre migration, les cellules B infectées par EBV participent au recrutement de cellules B non infectées, en particulier de sous-populations caractérisées par l’expression de CD11c et CD52, fréquemment impliquées dans des réponses auto-immunes. Ce recrutement est facilité par la sécrétion d’IL-10, d’origine à la fois virale et humaine, qui potentialise leur mobilité et favorise leur passage à travers l’endothélium.
Par ailleurs, les cellules infectées modifient directement l’intégrité des barrières endothéliales, notamment celles modélisant la barrière hémato-encéphalique. Elles y adhèrent fortement, induisent l’expression d’ICAM-1, une molécule d’adhésion clé dans la transmigration leucocytaire, et entraînent une baisse de la résistance trans-endothéliale, marqueur d’altération de la perméabilité vasculaire. Ce processus favorise la diapédèse des cellules B, infectées ou non, et pourrait contribuer à l’infiltration cérébrale observée dans des pathologies telles que la sclérose en plaques.
Ces observations apportent une explication possible à l’infiltration de cellules B dans le cerveau de certains patients atteints de SEP ou de syndromes lymphoprolifératifs d’allure extra-ganglionnaire.
Dans un modèle murin immunodéficient, l’administration du défactinib, un inhibiteur de FAK2, a permis de bloquer efficacement la migration, la prolifération et la survie des cellules B humaines infectées par EBV. Ce traitement a également empêché leur dissémination vers la rate et le système nerveux central. À l’issue de l’expérimentation, les animaux traités ne présentaient aucune infiltration splénique ni détection d’ADN viral dans le sang ou les tissus cérébraux, contrairement aux témoins non traités. Ces données confirment, in vivo, la dépendance des cellules B infectées à la voie CCR1–FAK2 pour leur expansion et leur tropisme tissulaire, et suggèrent que son inhibition pharmacologique pourrait constituer une stratégie thérapeutique pertinente dans les pathologies EBV-associées, notamment certaines formes de lymphomes et de maladies auto-immunes telles que la sclérose en plaques.

Ref : Delecluse S, Baccianti F, Zala M, et al. Epstein-Barr virus induces aberrant B cell migration and diapedesis via FAK-dependent chemotaxis pathways. Nat Commun. 2025 May 19;16(1):4581. doi: 10.1038/s41467-025-59813-z.