Une vaste étude révèle un risque 15 fois accru de cancer hématologique la première année qui suit un diagnostic de thrombopénie chez le sujet âgé. Ces données plaident pour une évolution des pratiques et une réalisation large d’une ponction/biopsie médullaire.

Si la pratique d’un myélogramme voire d’une biopsie médullaire est largement pratiquée dans le bilan d’une bicytopénie et/ou en cas d’anomalies cytologiques d’une ou plusieurs lignées sanguines, elle est encore discutée en cas de thrombocytopénie isolée.

Or, si dans cette situation une étiologie auto-immune est la plus fréquente, un diagnostic d’hémopathie maligne, soit lors de la consultation initiale soit dans le suivi, semble plus fréquente qu’attendu. Des auteurs ont entrepris de déterminer l’incidence des hémopathies malignes devant une thrombopénie isolée afin de préciser l’indication d’examens agressifs tels que le myélogramme ou la biopsie médullaire. 

Ils ont ainsi entrepris une étude de population rétrospective qui a concerné une cohorte de plus de 4000 patients âgés de 60 ans ou plus, porteurs d’une thrombocytopénie isolée avec un chiffre plaquettaire inférieur à 100G/L, recrutés entre 2009 et 2019.

Cette cohorte a été comparée aux données de patients anonymisés (du registre des données de santé de l’Ontario) qui ne présentaient pas de thrombocytopénie, avec un appariement de 1 patient pour 4 sujets contrôles.

Une première analyse a comparé 4390 patients avec thrombocytopénie à 17 556 sujets contrôles. Les participants des deux groupes étaient similaires en ce qui concernait les données de base : l’âge moyen était de 72 ans (± 8,5 ans), 40 % des sujets était des femmes dans chaque groupe. La médiane de suivi était de 4,0 ans (2,2-6,7 ans).

A l’issue de la période de suivi, 378/4930 patients avec thrombopénie (8,6 %), soit 19,1/1000 patients-années, et 204/17 556 sujets contrôles (1,2 %), soit 2,5/1000 patients-années, ont présenté une hémopathie maligne.

Chez les premiers, le risque de développer une hémopathie maligne était 15,5 fois plus élevé que chez les sujets contrôles lors de la première année de suivi, puis il demeurait 5,3 fois plus élevé. L’analyse statistique par sous-groupes prédéfinis montrait qu’il n’y avait pas de différence entre les taux de survenue d’hémopathie maligne selon la sévérité de la thrombopénie.

Par ailleurs les analyses statistiques stratifiées ont montré que l’association d’une thrombopénie à la survenue d’une hémopathie maligne ne dépendait ni de l’âge, ni du sexe, ni de la durée ou de l’intensité de la thrombopénie avant l’inclusion ni enfin l’administration d’une corticothérapie ou non sur 2 semaines autour de l’inclusion dans l’étude.

Lorsque l’examen médullaire était effectué avant les premiers 57 jours, le diagnostic d’hémopathie maligne était plus fréquent que dans les cas où il était effectué après ce délai (respectivement 52/1000 patients années vs 16/1000 patients années). 
Au cours de la première année, un diagnostic d’hémopathie maligne a été porté chez 97/110 patients thrombopéniques (88 %) ayant eu un examen médullaire. Par la suite, ce diagnostic a été porté chez 45/101 (45 %) d’entre eux ayant eu un examen médullaire.

Globalement, parmi les 378 hémopathies notées au terme du suivi des patients thrombopéniques, l’on retrouvait des taux similaires d’hémopathies lymphoïdes matures (39 %), d’hémopathies myéloïdes matures (49 %), et de leucémies aiguës (12 %).

Chez 621 patients un hémogramme était disponible au moment de l’examen médullaire. Chez les patients thrombopéniques, le chiffre plaquettaire médian était de 58G/L et le reste de l’hémogramme était normal ne permettant pas d'anticiper une hémopathie dans la grande majorité des cas.

Ainsi pour la première fois, sur une grande cohorte de patients de plus de 60 ans, il a pu être montré que l’incidence d’une hémopathie maligne devant une thrombopénie isolée était de 8,6 % sur un suivi médian de 4 ans. Ce qui correspond à un ratio 15 fois plus élevé au cours de la première année et 5 fois plus élevé dans les années suivantes par rapport à une population contrôle.

Ces résultats incitent donc à la pratique d’un examen médullaire (par ponction ou biopsie) afin de raccourcir le délai du diagnostic, ce qui dans nombre de cas peut avoir un retentissement positif sur la mise en route d’un traitement et sur le pronostic.

Néanmoins le délai acceptable pour réaliser cet examen médullaire devrait être précisé dans des études ultérieures qui devraient si possible être prospectives et prendre en considération les données cliniques non mentionnées dans cette étude. 

Ref: Vijenthira A, Wilton AS, Lee S, et al. Increased risk of haematological malignancy in adults over age 60 with thrombocytopenia compared with matched controls: Time for an upfront bone marrow evaluation? Br J Haematol. 2024 Sep;205(3):1126-1136. doi: 10.1111/bjh.19649. JIM.fr
 

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