Depuis des décennies, l’examen de la morphologie des spermatozoïdes ou spermocytogramme a été un standard de l’analyse du sperme. Il y a eu plusieurs modifications de classification depuis la première de l’OMS en 1992 et la 6ème édition du Manual of Human Semen Analysis qui différencie toujours le spermatozoïde typique de l’atypique par l’étude de la tête, de la pièce intermédiaire, de la queue et des résidus cytoplasmiques. L’intérêt clinique de cette classification de plus en plus stricte, complexe à réaliser et empreinte d’une grande variabilité intra et inter laboratoire liée au caractère subjectif de l’évaluation a longtemps été considérée comme essentiel. Néanmoins, les dernières données de la littérature montrent une faible valeur prédictive entre les anomalies morphologiques des spermatozoïdes, la fertilité spontanée et les résultats de l’assistance médicale à la procréation (AMP). Alors que traditionnellement, le spermocytogramme était considéré comme un indicateur fort de succès pour la fécondation in vitro (FIV), les données récentes ne valident pas cette corrélation. De même, le taux de succès des inséminations intra utérines (IIU) ou des Intra Cytoplasmique Sperm Injection (ICSI) n’est pas corrélé avec le taux de formes typiques. D'ailleurs depuis 2020, les recommandations de l’American Association of Urology (AUA) et l’American Society of Reproductive Médecine (ASRM) considèrent que la tératospermie isolée n’est ni un bon facteur prédictif, ni un critère diagnostique pour l’infertilité. Cependant, d’anciennes études ont montré que les médecins sont convaincus de la valeur de la morphologie des spermatozoïdes, ce qui conduit à mal orienter les patients des thérapies AMP plus complexes et coûteuses.
C’est pour mieux comprendre l’impact et l’intérêt de l’analyse morphologique du spermatozoïde sur la fertilité, qu'une étude récente portant sur l’évaluation de la morphologie spermatique dans une population d’hommes connus comme fertiles a été initiée.
Une équpe américaine a donc réalisé une étude prospective de cohorte incluant des hommes de plus de 18 ans, en bonne santé ayant accepté qu’une analyse de sperme soit réalisée avant vasectomie entre mars 2020 et Novembre 2022 à l’Université de Pittsburgh. Les critères d’inclusion étaient : avoir au moins un enfant biologique de moins de 5 ans, ne pas avoir eu de contexte d’infertilité ou de prise en charge en AMP
Diverses données démographiques étaient collectées : l’âge, l’indice de masse corporelle (IMC), le tabagisme, le nombre et l’âge des enfants biologiques.
L’analyse morphologique des spermatozoïdes a été faite avec la coloration de Papanicolaou et les critères stricts de Kruger (5ème Manuel) ont été appliqués par 2 techniciens dans un laboratoire spécialisé en andrologie. Les paramètres spermatiques étudiés étaient : la concentration, la mobilité progressive, la morphologie (forme typique) et le détail des anomalies morphologiques.
Les tests statistiques classiques ont été utilisés pour comparer les hommes qui avaient une morphologie spermatique normale < 4% avec ceux ≥ 4%. Les résultats avec un P ≤ 0,05 ont été considérés comme significatifs.
68 hommes récemment fertiles et en attente de vasectomie ont eu une évaluation complète de la morphologie spermatique. L’âge moyen était de 36,7 ans avec un IMC moyen à 28,0 kg/m2. Ces hommes avaient en moyenne 3 enfants et le plus jeune avait, en moyenne, 11,5 mois.
Concernant le tabagisme (informations pour 61 hommes) : 38 (62,3%) n’ont jamais fumé, 7(11,5%) sont d’anciens fumeurs sevrés et 16 (26,2%) sont des fumeurs actifs. Concernant la consommation d’alcool (information pour 59 hommes) : 49 (83,1%) consomment de l’alcool occasionnellement, 9 (15,3%) sont abstinents, et 1 (1,69%) a une consommation fréquente.
La concentration spermatique moyenne était de 54,2 M/mL, la mobilité moyenne était de 61,4%. La numération, la mobilité étaient normales pour plus de 90 % de ces hommes.
Par contre a médiane de la morphologie normale était de 3% avec 38 hommes (55,9%) avec une tératospermie ≤3% (incluant 2 hommes à 0%). Les anomalies les plus fréquemment retrouvées étaient les anomalies de la tête (n : 59 soit 84,3%) et les flagelles enroulés (n : 14 soit 20,3%). Parmi les hommes avec des spermatozoïdes typiques < 4%, la moitié d’entre eux avaient une mobilité inferieure à la normale et aucun des hommes avec une morphologie spermatique normale ≥ 4% n’avaient une mobilité en dessous de la normale.
D’autres analyses ont été réalisées pour évaluer l’association entre d’éventuels facteurs modifiables et la tératospermie. Il n’a pas été retrouvé d’association significative concernant ni les patients fumeurs ou ancien fumeurs (P : 0,73), ni avec l’IMC (P : 0,23) et le risque de tératospermie.
Cette étude relativise donc l'importance du spermocytogramme car elle montre qu'il peut être altéré chez une proportion importante d'hommes fertiles, ce qui minimise donc son importance en tant que cause d'infertilité. Même des hommes avec 0% de formes typiques avaient pu concevoir sans AMP. La présence d’une teratospermie isolée ne devrait donc plus être une indication pour réaliser une AMP. Or un spermocytogramme anormal (tératospermie) induit non seulement de l'anxiété chez le patient mais également une escalade thérapeutique qui n'est peut-être pas justifiée sauf en cas d'anomalies monomorphes (globozoospermie avec absence d'acrosome rendant la fécondation naturelle impossible)
Il s’agit donc de tenir compte des résultats de la première et seule étude prospective évaluant la morphologique des spermatozoïdes dans une population d’hommes fertiles.
Pour les auteurs, en dehors du diagnostic de la globozoospermie, les capacités actuelles de l’analyse morphologique ne permettent pas d’être bénéfique pour le patient car génère de l’anxiété et une éventuelle sur médicalisation. Une option serait alors de simplifier le compte rendu de l’analyse spermatique en ne mentionnant plus systématiquement le spermocytogramme.
Il existe cependant quelques limites à cette étude. La durée d’abstinence n’a pas été enregistrée bien qu’un délai de 2 à 3 jours ait été recommandé. De plus, la morphologie a été évaluée par 2 techniciens différents et il se peut qu’il y ait un biais inter observateur. Un seul recueil a été effectué par patient et une variabilité intra patient ne peut pas être exclue. Enfin, cette étude est considérée comme prospective car réalisée avant vasectomie, mais malheureusement il n’a pas été possible de réaliser ces analyses avant conception. Il n’est donc pas possible d’avoir les informations des paramètres spermatiques au moment de la conception. De prochaines études devront étudiées les paramètres spermatiques et la morphologie avant la conception naturelle.
Ref : Gyneco on line et "High rate of isolated teratospermia in questionable clinical utility of sperm morphology"
Lucille G Cheng et al. Fertil Steril Rep (Juin 2024)