L’identification précoce des pathologies cardiovasculaires atherosclérotiques (CVA) chez des patients à risque pourrait aider à élaborer des stratégies préventives plus efficaces. Actuellement, elle repose principalement sur les scores de facteurs de risque traditionnels cliniques ou anamnestiques (par ex : score PREVENT de l’AHA, SCORE2), tels l’âge, le sexe, le tabagisme, la pression artérielle... Dans le même temps, les biomarqueurs cardiovasculaires, troponine cardiaque, peptide natriurétique et C réactive protéine (CRP), sont d’usage fréquent, bien établi en clinique mais plutôt dans un cadre de diagnostic positif. Plusieurs études ont fait état d’associations fortes entre ces marqueurs et l’incidence des événements CVA, en cas de pathologie préexistante ou de facteurs de risque identifiés mais aussi chez des individus en bonne santé apparente. L’ajout de ces biomarqueurs aux modèles prédictifs pourrait apporter une amélioration de la stratification du risque et de la prévention primaire. Cette hypothèse reste toutefois à confirmer.

Dans ce but, une vaste étude a été menée pour préciser la valeur prédictive des différents biomarqueurs dans la population générale lorsqu’ils sont ajoutés aux facteurs de risque établis, et déterminer l’influence éventuelle de l’âge. Ce travail repose sur l’analyse de 28 cohortes internationales d’individus sains en apparence, qui avaient eu au moins un dosage de la troponine cardiaque de haute sensibilité (HS) de type I, un dosage également de la troponine de type T, du peptide natriurétique de type B (BNP), du pro BNP préterminal (NT-pro BNP) et de la CRP HS. Ces dosages étaient réalisés avec des méthodologies performantes (chimiluminescence) permettant d'avoir une sensibilité et une spécificité satisfaisantes pour l'interprétation des résultats. Le suivi fut prolongé, d’une durée médiane de 12 ans. Ont été exclus, de principe, les individus porteurs d’antécédents CVA ou de défaillance cardiaque. 

Le critère principal de jugement a été l’incidence des événements CVA, mortels ou non (coronaropathie, AVC ischémique, …). L’analyse statistique porte sur l’association non ajustée entre les biomarqueurs et le devenir clinique et  l’établissement de courbes d’incidence en fonction des niveaux (quintiles) des biomarqueurs.

Furent inclus 164 054 individus, provenant de 28 cohortes distinctes de populations générales de 12 pays sur 4 continents. L’âge moyen s’établissait à 53,1 ans. Parmi eux, 52,4 % étaient de sexe féminin, 6,1 % diabétiques, 41,6 % hypertendus et 24,8 % tabagiques actifs. A 10 ans, le risque de maladies CVA, selon l’algorithme SCORE2, était de 4,1 %. 

La concentration médiane des biomarqueurs a été, respectivement, de 2,5 ng/L (IQR : 1,9- 4,1) pour la troponine de type I, de 3,1 ng/L (IQR : 3,0- 6,0) pour la troponine T, de 43,8 ng/L (IQR : 20,6- 80,2) pour le NT-pro BNP, de 14,9 ng/L (IQR : 7,9- 28,6) pour le BNP et, enfin, de 1,4 mg/L (IQR : 0,7- 3,2) pour la CRP HS. Pour l’ensemble des marqueurs, à l’exclusion du NT-pro BNP, il était noté une relation linéaire entre concentration médiane et âge. 

La durée médiane de suivi s’établit à 11,8 ans (IQR : 6,2- 18,0). On déplora, durant cette période, 17 211 événements pathologiques CVA, 25 346 décès toutes causes confondues, 6 766 défaillances cardiaques, 4 794 AVC et 8 024 nécroses myocardiques.
Après ajustements multiples, la concentration en biomarqueurs a été associée significativement à l’incidence des pathologies CVA, les HR étant calculés, pour une variation de 1 SD à : 1,13 (CI : 1,11-1,16) pour la troponine de type I, 1,18 (CI : 1,12-1,23) pour celle de type T, 1,21 (CI : 1,18-1,24) pour le NT-pro BNP et à 1,14 (CI : 1,12- 1,16) pour la CRP HS. En analyses séparées, la troponine I, le NT-pro BNP et la CRP HS sont apparues prédictifs d’évènements pathologiques CVA. Stratifiée en fonction des concentrations, l’incidence cumulée augmentait parallèlement avec la hausse des biomarqueurs.
A 10 ans, parmi la population âgée de moins de 65 ans, la combinaison des dosages de CRP, troponine de type I et du NT pro BNP amena une amélioration de la prévision des événements CVA. On nota également une amélioration nette de la reclassification du risque (NRI) comparée au modèle conventionnel, plus particulièrement en ce qui concerne la mortalité globale et la survenue d’une insuffisance cardiaque. Ce reclassement a été plus marqué pour les sujets plus âgés, le NRI étant alors de 0,062 (CI : 0,013- 0,120) vs 0,028 (CI : 0,010- 0,020) pour les moins de 65 ans.

Au niveau statistique, il est ainsi confirmé que les divers biomarqueurs étudiés dans ce travail sont des éléments prédictifs de la survenue d’événements pathologiques CVA mais aussi de la mortalité globale. Ces marqueurs apparaissent comme des facteurs prédictifs indépendants, fonction de voies physiopathologiques distinctes. Leur dosage améliore l’évaluation reposant sur les facteurs de risque conventionnels à 10 ans. Enfin, leur valeur pronostique est plus importante chez les sujets âgés, de plus de 65 ans. 
Quelques réserves sont, toutefois, à apporter. En clinique, leur valeur pronostique est limitée. De plus, le travail a été mené essentiellement parmi des populations européennes et américaines du Nord, rendant toute généralisation aléatoire. Enfin, reste à déterminer le rapport coût/efficacité de ces mesures dans la population générale et à mieux identifier les individus cibles.
En conclusion, le dosage des biomarqueurs CV permet de mieux préciser le risque de survenue d’événements pathologiques CVA mais aussi, de déterminer, de façon légèrement plus fiable, celui d’une défaillance cardiaque et de mortalité globale. La pertinence d'une stratégie de dosage systématique n'est toutefois pas établie et doit être laissée à l'appréciation du médecin traitant ou du cardiologue.

REF : Neumann JT, Twerenbold R, Weimann J, et al. Prognostic Value of Cardiovascular Biomarkers in the Population. JAMA. 2024 Jun 11;331(22):1898-1909. doi: 10.1001/jama.2024.5596